Les usines à contenus, une menace pour les media, les blogs et Google par ReadWriteWeb

Un article incontournable de ReadWriteWeb qui pointe du doigt l’émergence des « usines à contenu » destinées à la monétisation de l’audience. Cette menace, car c’est une menace, peut à terme faire vaciller Google en rendant sa pertinence de recherche caduc, submerger les producteurs de contenus de qualité d’une production de niche ciblée. Mais c’est aussi une formidable opportunité pour un contenu éditorial de qualité de faire la différence.

A lire absolument, à méditer longuement.

(Reprise intégrale de l’article)

« Les usines à contenus, une menace pour les media, les blogs et Google

Ecrit le 14 décembre 2009 par Fabrice Epelboin et Marshall Kirkpatrick

Ces derniers temps, on a assisté à une véritable explosion de ce qu’il convient d’appeler des ‘usines à contenu’  telles que Demand Media ou Answers.com. Ces sociétés créent des milliers d’articles par jour et ont un impact considérable sur l’écosystème informationnel du web anglosaxon. Preuve de leur avancée, ces deux entreprises sont désormais bien installées dans le top20 du web américain, aux cotés de géants tels AOL et Apple.
Les grands groupes média, les blogs et Google sont désormais assez préoccupés par ces nouveaux entrants qui, même s’il ne sont pas encore arrivés dans la francophonie, ne sauraient tarder.
Chris Ahearn, le Président de la branche Media de Thomson Reuters, a récemment publié un article sur la façon dont le journalisme peut survivre à l’ère d’internet. Michael Arrington de Techcrunch a fait de même, parlant d’AOL, lui aussi en train de devenir une usine à contenus, comme ayant adopté “la stratégie de Toyota, consistant à fabriquer des milliers de sites de contenus de niche, à l’aide de ceux qui se sont fait licencier des vieux média”, et citant un article de Wired sur Demand Media d’octobre dernier.

Richard MacMannus avait lui commencé son analyse du phénomène Demand Media en août en montrant comment la société opérait sur une recette du succès simplissime : créer des tonnes de sites de contenus de niche, la plupart du temps sans intérêt, destinés essentiellement aux moteurs de recherche, puis utiliser les bonnes vieilles recettes du marketing viral à travers les réseaux sociaux et les monétiser avec de la publicité.
Demand Media a levé des fonds afin de mener à bien cette mission : 355 millions de dollars. C’est énorme. C’est une véritable machine de guerre, bien huilée et parfaitement opérationnelle, la plus efficace génératrice de pages vues qui soit, et elle s’abat sur un univers particulièrement fragile ces temps ci : les contenus.
En novembre, Marshall Kirkpatrick, encore lui, avait enquêté sur la façon dont Demand Media produit 4000 articles par jour en se basant sur un interview du fondateur qu’il avait réalisé en septembre – c’est dire s’il est particulièrement attentif au sujet, pour ne pas dire préoccupé. Il avait par la suite publiquement posé la question : le contenu fait pour la monétisation a-t-il franchi la ligne jaune ?
Qualité médiocre, gros impact
Une chose est claire : la qualité des contenu ainsi créé est très médiocre, et ceci a un impact sur les éditeurs et les lecteurs.
La semaine dernière, nous avions analysé la façon dont wikiHow produit ses contenus : ses utilisateurs font le travail d’écriture et d’édition gratuitement, sur une plateforme similaire à celle de Wikipedia. Il y a de bonnes raisons de penser que le modèle proposé par wikiHow produit des contenus de meilleure qualité que celui de Demand Media, en tout cas en ce qui concerne les tutoriaux, dont eHow, filiale de Demand Media, est spécialiste.
Le web va-t-il bientôt être envahi de contenus médiocres créés dans des usines à contenus telles que Demand Media, Answers.com et désormais AOL ? A priori, la réponse est oui.
Les contenus issus de telles usines sont creux et ne contiennent aucune forme d’analyse, c’est ce qu’il est ressorti de plusieurs explorations faites par Marshall Kirkpatrick. Jack Herrick, le fondateur de wikiHow, parle lui carrément d’eux comme n’ayant ‘pas d’âme’, et même sans aller aussi loin, on peut certainement affirmer qu’il ne contiennent ni passion et reflètent souvent un manque critique de connaissances sur le sujet qu’il traitent. L’analogie utilisée par Mike Arrington est limpide : c’est du fast food.

La qualité peut-elle survivre ?
A en juger par l’impact que les usines à contenu ont aujourd’hui, comment les éditeurs de contenus ‘de qualité’ peuvent-ils survivre ?
Chris Ahearn de Thomson Reuters affirme que le journalisme fera “plus que survivre à l’ère d’internet, il en sortira grandi”. Il note que Reuters réalise “la majorité de ses revenus” avec des services payants destinés à des sites verticaux et des sites de niches, de plus, ajoute-t-il, Reuters offre “des services, pas juste du contenu”.
Ahearn indique également que certaines technologies comme Open Calais, le moteur d’analyse sémantique maison  donnera naissance à de nouveaux type de réseau de contenus B2B, où les créateurs de contenus et les éditeurs pourrons aisément collaborer et faire de l’argent.

Google doit se réveiller
Les créateurs de contenus et leurs éditeurs doivent travailler sérieusement pour faire gagner les contenus de qualité. Il est clair qu’un article issu du New York Times est plus intéressant qu’un article traitant du même sujet produit par Demand Media, mais les lecteurs ont besoin de l’aide de Google et des autres moteurs de recherche.
Pour l’instant, la quantité est le maitre mot sur le web, la qualité est difficile à trouver. C’est peut être ce qui fait pencher Reuters pour un modèle payant, faisant ainsi payer pour accéder à de la qualité sans avoir à la chercher, un jeu qui pourrait vite se retrouver aussi difficile que de trouver une aiguille dans une bote de foin, au rythme où vont les choses.
Si c’est bien dans cette direction que vont les choses, Google sera à l’avenir moins utile, et de nouveaux acteurs, que ce soit du coté des technologies sémantiques ou de la curation de liens, pourraient devenir les passages obligés vers le web de qualité.

Sont-il inquiets ? Oui, sans aucun doute, si le web continue a être envahi de contenu médiocres comme c’est le cas aujourd’hui, leur prédominance en terme d’accès à l’information pourrait bien fondre comme neige au soleil.
Pour John Battelle, Google échoue sur le front de la qualité et c’est tout le web qui pourrait s’en trouver changé.
Vu des média, la situation est doublement ironique : c’est l’industrialisation extrême d’un process de création de contenus demeuré jusqu’ici, sommes toute, plutôt artisanal, qui pourrait venir à bout de ce qu’il s’évertuent à considérer comme leur ennemi juré. Le revers de la médaille, c’est que cela représente un danger tout aussi considérable pour eux.

Les média sont-il en danger ?

Alors qu’en France, il est de bon ton, quand on est dans l’industrie des média, d’accuser Google de tous les maux, les usines à contenus représentent une menace bien plus grande encore : celle de concurrents directs, ayant trouvé le moyen de réaliser des contenus à un prix impossible à atteindre pour les média classiques.
Ceux qui produisent de la qualité devraient – s’il passent les autres obstacles qui se présentent à eux – pourrait survivre, mais ceux qui ont déja pris le parti de la quantité et sacrifié depuis longtemps la qualité, n’ont aucune chance.
Ceci dit, il leur faudra pour survivre s’appuyer sur de nouveaux acteurs – dans l’hypothèse où Google serait défaillant – et faire avec une réalité désormais bien installée : l’internet a créé et continuera de créer de nouveaux intermédiaires entre les lecteurs et les créateurs de contenus, que cela leur plaise ou non.

Les usines à contenus n’ont pour l’instant pas encore perturbé l’écosystème Francophone, mais ce n’est qu’une question de temps. Prenez un call center situé dans un pays où la main d’œuvre n’est pas chère, recrutez des diplômés du supérieur, qui ne manquent pas en Afrique Francophone, remplacez les téléphones par des ordinateurs : et voilà.
La seule véritable question n’est pas de savoir si cela va se produire mais quand, et qui va le faire : un média Français ? Une startup lourdement financée ? Une société américaine parti à l’assaut du marché Européen ?
(image CC par Poolie) »

En complement :

Les Echos : Demand Media, l’usine à infos du Web

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