Réseaux sociaux : une économie non monétaire

Les réseaux sociaux sont fait d’interactions croisées entre les individus. A priori ces réseaux sont basés sur une certaine convivialité, sur le besoin d’échanger et de partager et non sur une quelconque logique économique. Cependant si l’on considère, comme Adam Smith, que l’économie se définie comme la « Science des choix en situation de rareté » le paradigme évolue considérablement et permet de réévaluer la pertinence de l’ecosysteme un certain nombre de services.

Maslow a défini une hiérarchie des besoins.

Dans un contexte ou les besoins physiologiques et les besoins de sécurité ne sont plus au premier plan des préoccupations quotidiennes des individus, les besoins dits « sociaux » prennent une nouvelle importance. De cette importance découle une valeur et une économie.L’abondance engendre une rareté. L’abondance de services et d’informations engendre une limitation du temps et de l’attention disponible. Mon temps est rare, non extensible, le temps de mes interlocuteurs l’est aussi. Ils sont sollicités, et leur capacité d’interaction est limitée. Il en résulte une économie de l’attention et de la réputation. Ma réputation à une valeur, l’attention que l’on me porte aussi car construire son réseau prend du temps et demande un investissement.

Monétisation

Internet et les réseaux sociaux permettent de comptabiliser cette attention, de la mesurer, dans une logique comptable. Facebook, Linkedin sont basés sur cette mesure de la notoriété. Google est lui aussi construit sur cette distribution de la l’attention. Les liens dans un site web représentent une distribution de la confiance, de la réputation d’un site. Le PageRank ne fait que mesurer cet indicateur. Les Adwords sont la conversion de cette devise non monétaire, la réputation, en monnaie sonnante et trébuchante. C’est ce modèle  que Google a su aborder avec succès dans tous ses produits.

A partir de ce constat nous pouvons aborder sous un nouvel angle les réseaux sociaux et en comprendre les ressorts économiques et les logiques de monétisation. Les réseaux sociaux empiètent sur des territoires monétaires (petites annonces, intermédiation, services,…) en substituant un mode de rémunération indirecte de type Freemium ou marchés « bifaces » au modèle habituel de paiement direct.  L’utilisateur paye pour gagner du temps dans son usage ou rémunère le service proposé par son attention (publicité,…). Bien sur pour un service équivalent le chiffre d’affaire généré et le nombre d’interlocuteurs nécessaires à son bon fonctionnement est limité. De l’autre côté le volume induit et l’élargissement des services envisageables ouvrent de nouvelles perspectives : FlickR vend des services premium à ses utilisateurs les plus actifs tout comme Viadeo ou Linkedin, les sites de rencontre tels Meetic ont adoptés le même modèle économique. Vous pouvez utiliser le service gratuitement, développer votre réseau. Mais si vous souhaitez gagner du temps vous allez passer au Premium.

Exemple d’économies non monétaires :

  • Reconnaissance (cf Twitter)
  • Visibilité (cf Linkedin)
  • Lien social (cf Facebook)
  • Engagement citoyen (économie du don avec Freecycle)

L’économie du don pousse encore plus loin cette logique en s’appuyant sur les besoins d’estime et d’accomplissement définis par Maslow. Le site Freecycle regroupe 6 millions d’adhérents échangeant 600 tonnes de matériel par jour, motivés par la seule idée de faire une bonne action. Cette économie est non monétaire mais a une valeur, par le temps qui lui est consacré, par l’abandon d’autres tâches, par la valeur représentée par ces marchandises qui auraient pu s’écouler sur un marché monétaire (Ebay, le bon coin,…). Cette économie fait vivre une petite équipe (financée par un barre de parainage Google) mais concurrence d’autres sites de petites annonces.

Les réseaux sociaux ne sont donc pas constitués d’individus désintéressés, motivés par leur seul humanisme et leur seul altruisme. Leurs finalités peuvent être multiples : réciprocité, reconnaissance, expression, mien social,…. Dans tous les cas de figure ces individus ont besoin de la mise en relation avec d’autres individus pour progresser.

Rien n’est plus évocateur qu’un jeu comme World of Warcraft en la matière. L’objectif est de progresser dans le jeu et de gagner la reconnaissance de ses pairs en collectant objets, expérience et pouvoirs payables en or virtuel. Cet or ouvre le jeu sur une économie non monétaire permettant d’échanger et d’interagir avec les autres joueurs, de progresser plus vite. L’or virtuel est un moyen de gagner du temps en accédant à la reconnaissance des autres joueurs plus rapidement. Economie donc, mais non monétaire au sens physique du terme. Pourtant les concepteurs du jeu s’appuient sur des économistes pour gérer ces flux virtuels et savent occasionnellement créer des passerelles avec le monde réel.

Jeux massivement multijoueurs,  réseaux sociaux, petites annonces, e-commerce : ces univers ne sont pas étanches car les usagers des uns sont les clients des autres et le temps passé des uns est le temps perdus des autres.

L’hyperlocal dans tout cela ?

Les individus concernés s’inscrivent dans un territoire et la majorité des interactions sont locales : donner votre vélo ne peut se faire que dans une zone de proximité, une rencontre également. Cette économie non monétaire impacte fortement les marchés locaux d’intermédiation et de services. Considérer cette économie et l’intégrer à sa réflexion stratégique est un moyen de s’assurer un relai de croissance ou tout simplement de survivre sur des marchés en pleine mutation.